Marie Bouhaïk-Gironès

Université Paris VII

Le théâtre médiéval et l'espace parisien

Où jouait-on dans la ville de Paris ? Quels sont les lieux, les espaces investis par le théâtre ? Il s'agit d'essayer de faire une cartographie, d'élaborer un plan de Paris où seront pointés les principaux espaces de jeu (le parcours des entrées royales, les églises, les tavernes, les collèges, les maisons des confréries, la Trinité, le Palais, etc), afin de mieux cerner les différents quartiers investis par le théâtre.

Dans cette communication, je me limiterai donc à justifier et expliquer le pointage du plan de Paris. Cet exercice technique peut être un outil d'analyse.

La spécificité de la ville de Paris - l'importance de l'Université et du Parlement, les fonctions croissantes de la ville comme capitale et lieu de séjour de la royauté - donne à la vie théâtrale parisienne un caractère original, avec une grande importance du théâtre profane, due au nombre élevé d'écoliers et de jeunes clercs.

Il n'y a pas de trace de représentation théâtrale à Paris avant le XIVe siècle. Avant 1380, le théâtre est présent à travers les entrées royales et les fêtes des confréries, mais les témoignages sont rares. C'est évidemment aux XVe et XVIe siècles que les mentions de représentations théâtrales dans la capitale sont nombreuses.

Le fond de carte utilisé – la carte de Paris vers la fin du XIVe siècle réalisée par le CNRS – a été choisi en raison de la précision avec laquelle les noms de rues sont indiqués. La méthode utilisée pour le pointage de la carte est la suivante : la carte est faite à partir d'un répertoire de sources mentionnant le lieu précis d'une représentation théâtrale dans la capitale. Les sources que nous avons pour connaître les lieux de représentations sont les manuscrits, les chroniques et journaux, les archives historiques (Bureau de la Ville, arrêts du Parlement…), les comptes municipaux et comptes privés. Je ne prétends évidemment pas être exhaustive. Les études anciennes et les publications des premiers historiens de Paris m'ont été utiles (Félibien, Du Breuil, l'abbé Lebeuf, Sauval...). Ceux-ci ont bénéficié de sources aujourd'hui disparues et sont friands de détails topographiques.

légende de la carte :

entrées royales

confréries

confrérie de la Passion

théâtre religieux

théâtre profane

collèges

 

CARTOGRAPHIE

1. Les entrées royales

Le parcours des entrées est toujours à peu près identique. On édifie les échafauds sur un trajet qui va de la porte Saint-Denis au Palais et à Notre-Dame, en passant par la Trinité, les Saints-Innocents, le Châtelet. On peut aussi trouver des stations à la fontaine du Ponceau, à l'église Saint-Leu-Saint-Gilles, devant Sainte-Opportune, sur le Pont aux Changeurs, à Saint-Denis de la Chartre.

Le trajet des entrées royales sur la carte est un parcours type, reconstitué avec plusieurs entrées (en sachant bien que le parcours type n'existe pas…), à partir de sources mentionnant les entrées royales de 1313 à 1517. Les entrées royales sont organisées par la municipalité. On peut suivre le détail des délibérations et des dépenses dans les registres de l'Hôtel de Ville. Jusqu'à la fin du XVe siècle, les chroniqueurs nous donnent également des indications. C'est le Journal d'un bourgeois de Paris qui nous fournit le témoignage le plus complet sur le théâtre parisien, rendant compte notamment de toutes les entrées royales qui eurent lieu dans la première moitié du XVe siècle. Après, nous avons souvent un petit ouvrage qui relate l'ordre de l'entrée et décrit les fêtes.

2. Les mystères

Les représentations des confréries

Il me semble utile de rendre compte en détail de toutes les mentions de lieux de représentations théâtrales au sein des confréries parisiennes. Car ce type d'activité dramatique représente bien ce que pouvait être le théâtre religieux dans la ville de Paris à la fin du Moyen Age. Les représentations théâtrales des confréries sont un moment privilégié de la fête de leur saint patron. Si nous n'avons pas connaissance du lieu précis où se déroulait la fête, j'ai pointé le lieu où la confrérie a sa chapelle. On peut supposer que la maison ou la salle où se passait la fête n'était sûrement pas loin.

Les principales sources d'information sur les métiers, les textes réglementaires comme les statuts de métiers ou les ordonnances royales, sont muets sur la vie sociale des associations professionnelles. Les statuts de confrérie ne donnent aucune indication. Les sources d'information sont variées : comptes de confrérie, ex-libris ou incipit de manuscrit, allusions à un lieu de représentation dans le texte même de la pièce, descriptions des chroniqueurs des fêtes et cérémonies.

La confrérie des orfèvres

Les quarante miracles de Notre-Dame par personnages du manuscrit Cangé (B.N. fonds français 819-820) sont les seules pièces qui nous restent témoignant de l'activité dramatique parisienne du XIVe siècle. Ce recueil a appartenu à la principale confrérie de la corporation des orfèvres parisiens. Cette confrérie était sous le patronage de Saint-Eloi. Il s'agit d'une des plus riches et des plus influentes confréries parisiennes. Les représentations avaient lieu chaque année au siège de la confrérie, dans une salle près de l'église Saint Josse, où la confrérie avait sa chapelle jusqu'en 1403, de 1339 à 1382 (sauf en 1354, 1358, 1359 et 1360).

La confrérie des cordonniers

Le Mystère de saint Crépin et de saint Crépinien a été joué pour la principale confrérie des cordonniers parisiens, en 1458 et en 1459. Le manuscrit de la Bibliothèque Nationale contient des informations sur les représentations de la pièce à Paris. On lit à l'intérieur de la couverture du premier cahier qui contient la 3e ystoire : C'est de la confrarie monseigneur Saint Crespin et monseigneur Saint Crespinien fondee en l'esglise Nostre Dame de Paris aux maistres et aux compaignons corduenniers et fust joué aux Carniaux l'an IIIIc LIX. Chandellier.

En ce qui concerne le lieu de représentation, à savoir les Carniaux, plusieurs hypothèses ont été émises. Henri Rey-Flaud et Graham A. Runnalls identifient les Carniaux comme étant l'hôtel d'Orléans. Elisabeth Lalou pense qu'il s'agit plutôt d'une taverne à l'enseigne des Carneaux, rue Siège-aux-Déchargeurs, proche de la halle au cordouan. Le Mystère de saint Crépin et saint Crépinien aurait donc été joué dans une taverne possédant une salle assez grande pour accueillir une scène de mystère (petit mystère soit, mais mystère quand même, avec Enfer et Paradis, villes de Soissons et de Rome...) et un public composé de tous les membres de la confrérie.

Remarque sur les représentations théâtrales dans les tavernes :

Il est très probable que cela ait été chose courante, et on pourrait émettre la même hypothèse pour d'autres représentations de confréries d'artisans qui n'avaient pas de grandes salles communes. On peut même penser que la taverne était un lieu privilégié pour la représentation de petits mystères ou de farces et de sermons joyeux. C'est l'avis de Jean Favier, qui, dans sa biographie de François Villon, décrit le monde des tavernes comme étant aussi celui du théâtre. Une liste des tavernes parisiennes pourrait être utilisée pour faire des recherches dans ce sens.

La confrérie des Maîtres-Jardiniers

Le Mystère de Saint Venice est daté du début du XVIe siècle et attribué à la confrérie parisienne des Jardiniers par Graham A. Runnalls. Il s'agirait d'une confrérie qui aurait été sous l'invocation non seulement de sainte Véronique mais aussi de saint Fiacre. La confrérie parisienne répondant à ces deux critères est la Confrérie des Maîtres Jardiniers qui a une chapelle dans l'église Saint Nicolas-des Champs.

La confrérie des maçons et des charpentiers

Le manuscrit du mystère La Vie de Monseigneur Sainct Loys..., daté du début du XVIe siècle, commence ainsi : Cy commence la Vie de Monseigneur Sainct Loys, Roy de France, par personnaiges, composée par Maistre Pierre Gringoire à la requeste des Maistres et Gouverneurs de ladicte Confrairie dudict Sainct Loys, fondée en leur chapelle de Sainct Blaise à Paris.

Il s'agit de la confrérie des Maçons et des Charpentiers, dont la fête se déroule le jour Saint Blaise, le 3 février, à la Chapelle Saint Blaise et Saint Louis, paroisse Saint Séverin. La chapelle Sainte-Blaise n'est pas à l'intérieur d'une église, c'est un édifice indépendant qui se trouve entre la rue de Garlande et l'église Saint-Julien-le-Pauvre. Deux métiers distincts sont réunis dans une même confrérie. Elle était riche, affirme Montaiglon, "la seule qui eût une église à elle". Du Breuil écrit sur cette chapelle : De la chapelle de Sainct-Blaise et Sainct-Louys, qui est en la rue Galande, près de Sainct-Julien-le-Pauvre. Le lieu d'icelle Chapelle, qui est sur la paroisse de Sainct-Séverin, servoit anciennement aux Religieux de Sainct-Julian-le-Pauvre, soit que ce fût leur Chapitre ou Réfectoire, ou bien une Chapelle particulière ; mais, en estant hors, les Massons et Charpentiers de la Ville, en l'an 1476, y establirent leur Confrairie, qui est de Sainct Blaise, evesque et martyr, et de sainct Louys, Roy de France, et davantage l'augmentèrent du long portail qui vient sur rue. ... Ladicte Chapelle n'a aucune fondation et n'est entretenue que par les Massons et Charpentiers de cette Ville de Paris, qui y font chanter une grande Messe, avec le son des orgues, tous les Dimanches et bonnes Festes de l'année, par des Religieux des Carmes. Le mur d'icelle Chapelle est tout couvert d'histoires peintes à destrampe, où entre autres sont représentez les faicts et gestes de sainct Louys, roy de France.

La confrérie des marchands et vendeurs de vins

La confrérie de la Conception Notre-Dame aux marchands et vendeurs de vins de Paris a possédé un ou plusieurs manuscrits de mystères joués pour la fête, mais nous n'avons ni dates de représentations ni précisions supplémentaires concernant les interprètes ou l'auteur de ces mystères. La confrérie fut fondée en août 1365 dans une chapelle de l'église Saint-Gervais. Elle est sous le patronage de la Conception Immaculée de la Vierge Marie. La fête de la confrérie, appelée jour et feste du baston, avait lieu le dimanche suivant la fête de l'Immaculée Conception, le 8 décembre. C'est dans le registre de la confrérie que nous trouvons mention de mystères et de jeux représentés le jour de la fête.

La confrérie Saint-Jacques aux Pèlerins

La confrérie Saint-Jacques aux Pèlerins, tient sa fête le 25 juillet, à Saint-Jacques de l'Hôpital. Voici la seule et précieuse information que nous avons sur les représentations théâtrales au sein de cette confrérie. On lit dans le compte de l'année 1324 : Treize l. par. que les pelerins qui firent le jeu au jour du siege queullirent par les tables au diner. On trouve cet article dans la partie "recettes" du compte. On voit donc que l'argent récolté par les pèlerins est entré dans la caisse de la confrérie. Il est donc certain que le jeu a été fait par les membres de la confrérie. C'est l'unique mention d'un jeu exécuté par les confrères eux-mêmes.

La confrérie Notre-Dame-de-Liesse

Cette confrérie n'est pas une confrérie d'artisans. Mais les représentations théâtrales ont lieu dans les mêmes conditions. Si nous savons peu de choses sur la confrérie elle-même, nous sommes relativement bien renseignés sur son activité théâtrale. D'après l'inventaire de L. Brièle, il y avait, dans les archives de l'Hôpital du Saint-Esprit-en-Grève, les pièces relatives à la fondation de la confrérie Notre-Dame-de-Liesse, en avril 1412 en la chapelle de l'Hôpital du Saint-Esprit. La Bibliothèque Nationale possède un recueil manuscrit des douze pièces représentées par les confrères de Notre-Dame-de-Liesse entre 1536 et 1550. L'incipit de chaque pièce indique l'année de représentation. Celui de la huitième pièce est le plus riche en renseignements sur les conditions de représentation de la confrérie : Mistere fait et composé en l'honneur de Nostre Dame de Lyesse et fait au siege de lad. confrarie en la salle de l'Ostel feu Simon Aquiton rue Vielle Tixeranderie l'an mil cinq cens quarante trois, le dimenche neufiesme jour de septembre en laquelle annee estoient maistres et gouverneurs de lad. confrarie Maistre Le Charron le jeune, Jehan Manctier, Jacques Roussel et Michel Bastonnier, composé par Jehan Louvet.

La représentation a donc eu lieu dans un hôtel particulier. Notons que la rue de la Vieille Tixxeranderie est proche de l'hôpital du Saint-Esprit-en-Grève, où fut fondée la confrérie.

La confrérie des Arquebusiers et Archers

Le Mystère de Saint Denis a été joué à Paris vers 1540. Les noms des acteurs sur la première page du manuscrit, les références topographiques et le choix de saint Denis permettent de conclure que la pièce a été commandée et représentée par la Confrérie des Arquebusiers et Archers de la Ville de Paris. Le siège de la confrérie est aux Blancs-Manteaux.

Une confrérie non identifiée

Le Mystère de Saint Christofle, imprimé au XVIe siècle, a été composé au XIVe siècle pour une confrérie sous l'invocation de saint Christophe et regroupant des membres du même milieu social que la confrérie des orfèvres. C'est la conclusion de G. A. Runnalls après une étude linguistique du texte. Il ne lui a pas été possible d'attribuer le mystère à une confrérie particulière.

Un mystère de Sainct Christofle a été joué à Paris en 1540. Un marché a été conclu entre Hardouin Corivault, maçon, et Pierre Veau, François Huette et Pierre Charpentier, demeurant à Saint-Marcel, "qui, au plaisir de Dieu, ont entreprins de jouer et faire jouer le mistaire et vie de Sainct Christofle, ou logis et lieu appellé l'hostel d'Orleans, durant l'esté present", pour la fourniture d'"ung eschafault de long de dix toises...". Elie Konigson a reconstitué la scène du mystère et l'échafaud des spectateurs à partir de ce contrat.

 

La confrérie de la Passion

Les confrères de la Passion ont toujours eu un lieu fixe pour leurs représentations. Il n'y a qu'à Paris qu'on trouve ce cas de figure. Les Confrères étaient installés à la Trinité jusqu'en 1535. Ils payaient un loyer et entretenaient le service de la chapelle. Puis le Parlement ayant décidé d'en faire un hospice pour les enfants pauvres de Paris, ils s'installent à l'Hôtel de Flandre. Cet hôtel fut mis en vente par François Ier et les Confrères firent construire une nouvelle salle sur le terrain de l'Hôtel de Bourgogne qu'ils achetèrent en août 1548. Les confrères jouèrent également en dehors de leur salle, en plein air, notamment lors de représentations de grands mystères.

En ce qui concerne les mystères, je ne cite que ceux, moins connus, qui ont eu lieu ailleurs qu'à l'hôtel de Flandre ou à la Trinité :

en 1399, le Mystères de l'Annonciation de la Vierge Marie et de la Nativité Nostre Seigneur Jhésu Crist, est joué à l'Hôtel d'Orléans pour Louis d'Orléans.

En juin 1415, le Mystère de la Nativité saint Jehan Baptiste est donné par Jehan Bonne, étudiant, au Louvre, devant le dauphin Louis, duc de Guyenne, fils de Charles VI.

En 1422, lors d'une fête en l'honneur du roi et de la reine d'Angleterre, le Mystère de la Passion Saint George est représenté à l'Hôtel de Nesle.

Le 15 mai 1444, le Mystère du Juif et autres mystères sont joués à Sainte-Catherine-du-Val-des-Ecoliers, au cours d'une procession pour la paix.

Le 28 octobre 1449, une Histoire de paix et de guerre est représentée rue Saint-Martin, devant la fontaine Maubué.

Le 6 juillet 1451, une procession générale est faite à Sainte Geneviève, sur l'ordre du roi. A cette occasion a esté payé a Guillaume Guéroust, Prince des Sots, 22 l. p. pour supporter les frais pour faire l'histoire des neuf preux et du Roy nostre Sire sur un eschafaux a petit pont durant que la procession generalle passait pou aller a Saincte Genevieve".

 

3. Le théâtre profane

Il est difficile de faire séparément l'histoire de chaque groupe. Confréries, Enfants sans Souci, Basoche, collèges ont des liens entre eux.

Sans revenir sur le débat de l'existence réelle des Enfants sans Souci, la tradition veut que les confrères de la Passion aient fait appel à eux vers 1450, pour égayer leurs représentations. D'après Félibien, ils avaient une maison dans la rue de Dernetal, appelée maison des sots attendants. Cette rue est toute proche de la Trinité.

Le lieu de représentation principal des clercs de la Basoche est évidemment le Palais. Ils jouaient également à l'extérieur.

Le 24 février 1410, "Le Roy pour argent donné à Fatras et ses compaignons, joueurs de farces, pour ce qu'ils avoient joué devant lui, le Roy, à Saint Pol".

Le 6 décembre 1462, Le sermon de la Choppinerie, dans un cabaret sur la place de Grève.

Le 27 novembre 1468, "Ce jour par ledit Balue, cardinal, fut fait ung grant disner et sumptueux en l'ostel qui fut jadis à Piquet, près de l'église des religieuz ditz les Blancs Manteaulz, (…) y estoient en grant nombre et bien joliez dames, damoiselles et jeunes bourgoises, compaingnons chantans de bouche, trompettes, clairons, menestréz tant à cordes et orguez comme aultres, danseurs de morisque et joueurs de farces. Entre lesquels joueurs de farcez il y avoit ung personnaige feingnant ledit Balue cardinal, qui, entre les beaulz ditz de son personnaige, il disoit telz motz "Je fay feu, je fay raige, je fay briut, je fay tout, in ne est nouvelle que de moy." (…) Ce fut fait ledit jour de dimenche, XXVIIe jour du mois de novembre, premier dimenche des advens Nostre Seigneur en l'an mil CCC soixante huit, le roy lors estant à Estrechi et devers Etampes et environ".

En 1482, une moralité, sottie et farce commandées par le cardinal de Bourbon à l'occasion de la paix d'Arras, à l'hôtel de Bourbon.

En 1506, "Le jour mons. Saint Nicolas precedent, les clercs du Chastellet avoent joué en la salle du Louvre des jeux publiquement, en parlant deshonnestement d'aucuns de la court du Parlement, … ".

Le 11 juin 1508, la Moralité du Nouveau Monde, attribuée à Andrieu de la Vigne, est jouée sur la place Saint-Etienne par les étudiants.

En 1515, Messire Cruche, prêtre, donne une représentation au mois d'avril, sur la place Maubert, d'une sottie, d'un sermon joyeux, d'une moralité, d'une farce.

Les collèges

Les sources nous permettent de préciser les collèges dans lesquels des représentations théâtrales sont attestées.

En 1315, les statuts du collège de Navarre interdisaient aux écoliers "tout jeu déshonnête aux fêtes de saint Nicolas et de sainte Catherine" (ce qui laisse à penser que des représentations ont eu lieu avant 1315 au collège de Navarre).

En 1426 et 1431, représentations au collège de Navarre de deux moralités dont Le Coeur et les cinq sens, le jour de Saint Antoine, dont le texte aujourd'hui parait perdu. Robert Bossuat a attribué cette moralité à Gerson lorsqu'il étudiait au collège de Navarre vers 1380.

Vers 1500, la Farce du Cousturier et d'Esopet est jouée au collège de Navarre.

En 1533, au collège de Navarre, une pièce est représentée contre Marguerite de Navarre.

Dans les comptes du duc de Calabre, aux années 1507-1508, on mentionne des "écoliers du collège de Coqueret et du Plessis, qui sont venus jouer une farce devant Monseigneur, au lieu de Paris". Les comptes de dépenses du même voyage font mention de diverses sommes payées aux Enfants sans Souci de Rouen, Paris et Grenoble qui avaient joué devant Monseigneur à son passage dans ces trois villes.

Le samedi 5 janvier 1516, le Parlement fait comparaître les principaux et régents des collèges de Paris (collèges de Navarre, de Bourgogne, des Bons Enfants, de la Marche, du Cardinal Lemoine, de Boncourt, d'Harcourt, des Trésoriers, de la Justice) et leur fait défense " de ne jouer, faire ne permettre jouer en leurs collèges, aucunes farces, sottises, et autres jeux contre l'honneur du Roy, de la Royne, de Madame la Duchesse d'Angoulesme, mère dudict seigneur, des seigneurs du sang, ne autres personnages estant autour de la personne dudict seigneur, sur peine de punition contre ceulx qui feront le contraire, telle que la cour verra estre a faire".

Le jeudi 5 décembre 1521, Noël Béda, recteur de l'Université, qui avait été pris à partie dans une pièce représentée au collège du Plessis, voulut interdire jeux et farces dans les collèges. Mais il ne fut pas suivi et les Nations décidèrent de célébrer les Rois comme à l'accoutumée, pourvu qu'il ne soit pas lancé d'attaques contre le "sang royal".

En 1549, "Du lundy XVIIIe jour du mois de febvrier la cour a permis et permet aux maistre principal et boursier du college de cardinal Lemoine pouvoir executter cette presente annee leurs jeux en leur college sans que en jeux il y ait offense particuliere ou scandalle public, sur peine de s'en prendre a eux".

En 1549, Plutus d'Aristophane traduit par Ronsard est joué au collège de Coqueret, en 1552, Cléopâtre captive d'Etienne Jodelle, devant le roi Henri II, au collège de Boncourt.

 

En guise de conclusion

Le résultat de cette cartographie me laisse un peu perplexe (embarrassée ?). Quelques remarques s'imposent tout de même.

Nécessairement, nous ne pouvons pas rendre compte avec ce type de cartographie de l'évolution chronologique et devons travailler sur la période 1380-1550 en bloc. C'est une faiblesse.

D'autre part, mes informations ne sont pas toutes de première main.

Il faudrait pouvoir comparer cette cartographie avec celles d'autres grandes villes pour pouvoir tirer des conclusions intéressantes.

Nous avons plus de mentions sur le théâtre religieux. Nous avons moins de traces de lieux de représentation de farces dans les archives, car les représentations ne nécessitaient pas une grosse infrastructure et n'étaient souvent pas l'affaire des institutions. Elles pouvaient avoir lieu dans un cadre privé, en plein air, ou bien dans les tavernes.

Cependant, il me semble qu'on est en droit de supposer un phénomène plus grand que ce qu'en montrent les archives et qu'on peut soutenir que la présence du théâtre profane est très importante dans la capitale.

La carte peut être enrichie, précisée, mais je ne crois pas que cela puisse changer l'impression première : l'espace parisien est presque tout entier investi par le théâtre. Des milieux sociaux très divers sont touchés. On voit quand même une répartition différente selon les quartiers et on peut faire une classification un peu sommaire : rive droite/rive gauche, théâtre religieux/théâtre profane, quartiers des métiers/rive des écoliers.

Un quartier semble plus pauvre en représentations théâtrales que les autres, le Nord-Est, entre le Temple et Saint-Paul. C'est un quartier où les constructions sont moins nombreuses, et où l'on trouve encore des cultures et des terrains vagues à la fin du XIVe siècle. Il est évident que la caractéristique première d'un lieu pour qu'il devienne espace de jeu est d'être, d'une façon ou d'une autre, un centre de vie sociale.

Ce qui ressort de la vision de cette carte renforce donc ce que l'on sait déjà. A savoir que l'implantation du théâtre dans la ville est importante et qu'il est l'affaire de l'ensemble du corps social.

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