ALLEGORIE DANS CERTAINES FIGURES DE LA DRAMATURGIE MEDIEVALE: SATAN ET SATYRE.

Le monde classique et son hérédité continuent à survivre au Moyen Age, sans se trouver en contradiction avec celui-ci, et la signification négative que ce dernier donna à la culture classique est justifié par les caractères de dévotion déterminants qui marqueront la période médiévale.

Les Mondes classique et médiéval, même s'ils se différencient entre eux, furent souvent complémentaires comme en atteste la production artistique littéraire et pictural ainsi que la présence de figures dramatiques dans le théâtre religieux.

La méthode allégorique fut au service de presque toutes les manifestations artistiques: déjà appliquée par Héraclite dans De allegoriis apud Homerum, par Cornuto dans Theologiae grecae compendium, et ensuite, par les néoplatoniciens, l’allégorie fut utilisée pour une interprétation chrétienne de personnages antiques et de mythes païens, comme par exemple le mythe de Attis et Cybèle dans lequel on voulait reconnaître l'effort de l'âme qui s'élève vers Dieu. L’hérédité du monde antique fut donc un instrument de moralisation de l'homme et de la vie sociale: c'est ainsi que fut interprété Ovide, et ainsi que fut inspirée l'œuvre du franciscain John Ridewall, auteur du fortuné Fulgentius Metaforalis (XVème s.). Cette orientation a permis une osmose entre cultures profane et sacrée qui fit que le Moyen Age fut non seulement capable de résister au monde païen, mais encore, en utilisa l'hérédité. Dans la représentation dramatique de la Regina Rosana e di Rosana sua figlia (la Reine Rosana et de Rosana sa fille), peut-être du XIIIème s., on raconte que certaines femmes s'adressèrent à une idole en offrant des sacrifices, pour en obtenir la maternité. Celle-ci, appelée Pantaleo, était possédée par un démon, "qui s'appelait Astarotte". Ce texte nous donne un détail particulier, à savoir la présence en même temps d'une religiosité chrétienne qui se marie à des pratiques de dévotion païennes, en l'honneur de forces démoniaques.

En particulier, beaucoup de divinités du monde antique furent transformées en puissances démoniaques au Moyen Age, grâce à l'influence de tradition évhémériste et de son importance que lui conférèrent, à l'époque, les Pères de l'Eglise pour combattre le polythéisme. Dans différentes manifestations, et donc aussi dans le théâtre religieux, des personnages païens et bibliques comme Sibylles et Prophètes, Virgile et Mages, furent mis sur le même plan. St Martin de Tours n'hésita pas à comparer certaines grandes divinités païennes aux diables chrétiens en leur appliquant une interprétation allégorique avec des valeurs le plus souvent négatives et en les réinterprétant à travers un système de relations, de corrélations et d'oppositions afin de satisfaire une exigence salvatrice.

Dans le théâtre, certaines figures négatives comme Satan, en vertu d'une ample interprétation allégorique, eurent un grand épanouissement surtout dû à des comportements spéculateurs qui conditionnèrent l'expression artistique elle-même, comme la démonologie néoplatonicienne et augustinienne. Le démon fut l'objet d'une anthropomorphisation qui domina dans le Moyen Age chrétien et eut une part importante dans l'iconographie, dans la littérature et dans la dramaturgie. Déjà chez Platon, et ensuite dans les orientations spéculatrices qui en dérivèrent, le démon est une créature intermédiaire entre Dieu et l'homme; pour St. Augustin, il devient ensuite expression du mal, jusqu'à ce qu'au Moyen Age, sous forme anthropomorphique marquée aussi par des influences orientales, le démon devient aussi un instrument nécessaire pour une communication didascalique, facile et aisée, s'adressant aux fidèles de la parole théologique. Henry Ansgar Kelly (1), continuant l'ample enquête sur la démonologie commencée par John Bonnell (2), propose différents témoignages littéraires anciens qui, dans la lignée de la tradition biblique, documentent la figure de Satan dans laquelle il repère des caractères masculins et féminins qu'on retrouve dans des créatures monstrueuses et fantastiques comme le Sphinx, décrit dans le drame de la Tentation dans le cycle de Chester Play. La représentation de Satan comme serpent au visage humain et comme reptile à quatre pattes, qui sera longtemps présente dans l'iconographie et dans les représentations scéniques, sans doute pour faciliter le dialogue avec Eve comme le soutient Bonnell (3) lui-même, est importante.

Dans certains drames sacrés, légendes hagiographiques et pièces inspirées des Croisades, Satan est représenté avec des caractères bouffons dans l'intention d'amuser le public par son aspect ridicule, impuissant face à la foi. Cependant, les Miracles de Notre Dame nous présentent la figure de Satan dans les variantes les plus habituelles: animal c'est-à-dire comme tentateur biblique, démon bouffon et homme, toutes des formes qui tendent à des fins de didascalie.

L'examen d'autres documents dramatiques médiévaux de l'Europe française et anglaise et leur structure narrative révèlent d'autres caractéristiques importantes de la figure de Satan. Juxtaposé au Christ, en opposition forte avec lui, il est décrit avec une connotation psychologique particulière et une expression linguistique, propres aux personnages diaboliques, comme on peut le voir dans les cycles dramatiques de York et Chester. Grove Thomas, dans son étude sur cette production (4), met particulièrement en évidence l'aspect allusif et symbolique de la figure de Satan en opposition à celle du Christ triomphant: mal et ténèbres sont vaincus par la lumière, thématique de fond qui domine dans le théâtre médiéval en général et chère à la théologie elle-même qui valorisa, dans l'exégèse des textes bibliques, la tentation du Christ de la part de Satan comme importante allégorie du contraste entre Bien et Mal.

Si, au Moyen Age, Satan a comme illustre et lointain ancêtre, le démon platonicien, le Satyre du théâtre laïc de l'Humanisme et de l'ère future est une utilisation évolutive de la divinité païenne dans lequel se traduit l'expression démoniaque du personnage médiéval par un glissement de signification qui devient plus complexe et problématique. Même s'il reste dans cette figuration une caractérisation morale qui dérive de l'expérience dramatique religieuse passée, la valeur allégorique de ce personnage est chargée de nouvelles significations sociales et culturelles de grande importance. Sa fonctionnalité dramatique a ensuite une place précise dans le texte théâtral qui, à travers l'allégorie, rend son rôle particulièrement significatif.

Dans la fable pastorale, le Satyre semble être une expression de désordre destructif des valeurs historiquement ancrées et sa présence exprime de l'inquiétude face à la conscience d'un renouveau profond dans lequel se projettent des conquêtes philosophiques et culturelles modernes. Sa figure dans le contexte dramatique et littéraire est un éloquent message dans lequel conflue l'orientation idéologique de fond d'une époque comme cela était arrivé à Satan au Moyen Age. Apparemment différent de lui, le Satyre exprime l'exigence de récupérer des valeurs naturalistes compromises, en particulier l'entente entre l'homme et la nature, et dénonce la conscience quelquefois tragique d'un Eden irrémédiablement perdu. La pensée éthico-religieuse du Moyen Age qui avait trouvé une expression concrète en Satan sous des formes démoniaques souvent grotesques et fantastiques, réussit dans la figure zoomorphique du Satyre, à transmettre de façon allégorique un besoin angoissant de renouveau culturel et existentiel qui dénonce sur scène une profonde métamorphose d'idéaux et de coutumes. Cette problématique attestée aussi par d'autres formes artistiques contemporaines, est à la source d'un caractère éthique laïc qui s'oppose à celui religieux du Moyen Age. La définition de Claude Blum, "Le Diable est la métaphore même du Masque...il ne porte pas de Masque, il est le Masque...", peut s'adapter au Satyre dans sa nouvelle expression de diabolicité. Sa double nature trompeuse utilisée dans sa fonction dramatique, traduit une dimension existentielle collective au seuil d'une ère qui, en s'éloignant des certitudes conquises, est en train d'élaborer ses nouvelles perspectives rationnelles, non sans un travail profond. La satanicité médiévale persiste dans la satyricité post-médiévale, enrichie d'une connotation ambiguë qui produit du désarroi et de l'angoisse propres à une ère de grand développement et de conquêtes, orgueilleuse de vouloir affirmer des valeurs humaines sans oublier celles humaines, et fière de son savoir.

Le Satyre, dans le scénario naturel, demi-dieu et demi-homme hors du social, aux caractères primitifs de monstre, est un témoin archaïque de valeurs désormais perdues par l'homme moderne qui a compromis son bonheur primitif en se livrant lui-même à un graduel et irréversible malheur. Sa vitalité originaire extra urbaine est le symbole d'un état psychologique et d'une force vitale qui deviennent religion, comme l'étaient pour Satan la tromperie et la tentation. Sa force diabolique, ennemie du bien, commune avec Satan, est le signe surnaturel qui lui permet de récupérer un rôle métaphysique. Si Satan était l'expression du mal et du péché dans le sens conflictuel et souvent individuel, le Satyre représente un état psychologique d'une société qui, renversant des valeurs établies, tente un retour à la nature à travers la proposition agressive du primitif, d'un Eden oublié et compromis volontairement. Ce n'est pas par hasard que le Satyre apparaît dans le tissu dramatique de la Fable Pastorale et à son moment le plus significatif, là où les oppositions dramatiques ont besoin d'un moment diversifié, c'est-à-dire un hiatus dans le devenir de l'action. Marqué par une valence artistique stratifiée par différentes significations dont certaines liées à la culture païenne, c'est une créature qui s'exprime avec pessimisme et sa voix est celle d'une société partagée entre certitudes et doutes, à la recherche d'elle-même, après avoir compromis des valeurs métaphysiques de l'ère passée.

Le côté dramatique du Satyre nous ramène encore une fois à la culture classique et, en particulier, à la pensée de Lucrèce qui se transfert dans le théâtre pastoral, en se caractérisant par son unicité artistique et se révélant continuité naturelle de plus en plus laïque, pour une exaltante aventure de la raison. De nombreux aspects de la culture médiévale dont l'obsession de la mort, propres de la dialectique entre Bien et Mal, sont présents dans la figure du Satyre et, dénudés de la dimension fidéiste, retournent en lui avec le côté dramatique du malheur humain exprimé de façon allégorique, propre au message de Lucrèce, causé par le détachement d'avec la nature, à la fois mère et divinité.

Satan et Satyre sont pour cela deux représentations dramatiques différentes qui, dans un langage allégorique commun, traduisent en scène des aspects culturels individuels et collectifs essentiels de l'histoire humaine.

 

NOTE

1) Kelly Henry Ansgar, The Metamophoses of the Eden Serpent during the Middle Ages and Reaissances, in Viator, 2, 1971, pp. 301-328.

2) Bonnell John, The Serpent with a Human Head in Art and Mistery Play, in American Journal of Archeology, 21, I917, pp. 255-291.

3) Bonnell John, ibidem.

4) Grove Thomas, in Neuphilologische Mitteilungen, 75, 1974,pp.115-125.

 

 

 

 

 

Prof. MARIA LUCIGNANO MARCHEGIANI

UNIVERSITA’ LUMSA - MARIA SS. ASSUNTA - ROMA -

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