Graham A. Runnalls

une représentation

du mystère de la vendition de joseph

dans la région parisienne en 1560:

UN CONTRAT DE LOCATION POUR LES COSTUMES

 

Pour les historiens du théâtre français médiéval, et en particulier pour ceux qui s’intéressent aux représentations de mystères, Paris constitue un paradoxe. Il est quasiment certain que la plus grande ville du monde francophone jouissait aux XVe et XVIe siècles d’une vie théâtrale aussi, sinon plus, active que les autres villes de France. Pourtant, nous disposons aujourd’hui de fort peu de documents qui témoignent de la vie théâtrale de la capitale pendant cette époque.

Si l’on consulte les listes dressées par Petit de Julleville dans son ouvrage Les Mystères, on se rend compte qu’aux XVe et XVIe siècles plusieurs villes françaises montèrent fréquemment des mystères: Abbeville (10), Amiens (14), Angers (7), Béthune (8), Compiègne (18), Draguignan (12), Laval (13), Lyon (10), Rouen (15), etc. Il s’agit, naturellement, de spectacles qui ont laissé des traces dans les archives ou dans d’autres sources écrites. Pour ce qui est de Paris, Petit de Julleville cite dix-sept représentations. Cependant, quand on les examine de plus près, on trouve que seules dix de ces représentations sont attestées par des preuves fiables. Depuis la publications de l’ouvrage de Petit de Julleville, plusieurs autres représentations ont été découvertes. Mais même avec ces découvertes plus récentes, les résultats sont plutôt minces. Comment expliquer notre ignorance? Encore une fois, la réponse est un paradoxe: trop de documents perdus, mais aussi trop de documents conservés. Comme les historiens le savent fort bien, bon nombre des archives médiévales relatives à Paris et à l’Ile-de-France ont été perdues. En particulier, les registres de la Confrérie de la Passion - car il devait bien y en avoir - n’ont pas survécu.

Par contre, les Archives Nationales de France conservent un vaste fonds d’actes notariés qui n’ont guère été exploités. Le Minutier Central des Notaires de Paris renferme presque tous les actes notariés rédigés dans les nombreuses études de notaires parisiennes depuis la fin du XVe siècle jusqu’à la fin du XVIe (et après). Il s’agit de milliers, peut-être même plus d’un million, d’actes notariés, dont la majorité n’ont jamais été étudiés; et seule une toute petite proportion de cet ensemble a été inventoriée, analysée ou publiée. Ces actes sont de plusieurs types: inventaires après décès, contrats, marchés, etc., rédigés en bonne et due forme par des notaires de la part de leurs clients, c’est-à-dire des Parisiens de tous rangs et de toutes sortes. Sans doute, quelque part dans cette masse de documents se cachent des allusions aux représentations de mystères. Mais la tâche de dépouiller le Minutier Central, afin de se renseigner sur les mystères parisiens, est évidemment au delà des capacités d’un seul individu.

Pourtant, nous nous sommes rendu compte que, depuis le début du XXe siècle et surtout au cours des vingt dernières années, un petit nombre de chercheurs ont commencé à défricher ce terrain. Pour ceux-ci, l’étude du théâtre médiéval ne constituait pas le but principal de leurs recherches; ils ont donc passé presque sous silence les allusions au théâtre, ou bien ils en ont fait peu de cas. D’ailleurs, dans presque tous les cas, ils n’ont fait que publier un résumé rapide du document en question ou, tout au plus, en citer quelques brefs extraits. En parcourant ces travaux, nous avons relevé plusieurs allusions à des représentation de mystères. Ainsi, presque sans le savoir, ces chercheurs ont signalé plusieurs actes notariés portant sur les mystères, que nous avons nous-même pu consulter et transcrire en entier aux Archives Nationales.

Dans cette communication, nous nous proposons de regarder de plus près un seul des six actes notariés que nous avons dévouverts et qui jettent une lumière nouvelle sur des représentations de mystères à Paris et en Ile-de-France.

***

Le Minutier Central des Archives Nationales de France conserve un contrat, daté du 18 mai 1560, selon les termes duquel quatre habitants du village d’Annet-sur-Marne, près de Meaux, louent, à Claude Gaillard, marchand fripier à Paris, les costumes nécessaires pour jouer le Mystère de la Vendition de Joseph. En voici le texte complet:

(1560, 18 mai)

[1ro] C’est le memoire des habillemens louez en la maison de la veufve feu Jehan Gaillard, marchand freppier demourant en la frepperie a l’enseigne Saincte Katherine, pour le pris et somme de quarente quatre livres tournois, assavoir du jour et feste de Penthecoste prochain venant jusques deux moys aprés ensuyvant, au villaige d’Annet sur Marne prés Laigny, ainsy qu’il s’ensuict:

Et premierement, pour l’abitz de Justice, une robbe de satin cramoysy rouge bandee de thoille d’or a usaige de femme;

une robbe de taffetas blanc servant a Misericorde;

les habillemens des Quatre Cytoyens de satin de plusieurs coulleurs;

item, ung habit pour Esau de taffetas changeant;

item, une robbe de velours cramoysy figuré rouge pour ung Prince;

item, deux robbes longues, l’une de damas rouge et l’aultre de camellot viollet roze, servant a Ismalleyt;

item, une robbe de satin cramoysy rouge servant au Pere Jacob;

item, douze robbes de plusieurs coulleurs servans aux Douze Enffans, tant de satin, damas, taffetas et camellot;

item, cinq robbes servant a femmes, tant satin cramoysy, velours et taffetas de plusieurs coulleurs;

[1vo] item, une robbe de drap d’or frizé sur champ noir, bandee de passemant d’or de Chippre, garnye de son collet, servant a ung Roy;

item, deux cazaques de velours rouge a boullons;

item deux robbes de camellot longues;

item une robbe de drap d’or longue sur champ rouge pour Farraon;

item, une robbe de satin blanc a peremens de toille d’or et d’estouppes garnye de son collet de drap d’or;

item, une robbe de velours cramoysy viollet bandé d’un petit passemant d’argent faulx;

item, une robbe de satin cramoisy viollet servant a femme, frangee d’or fausse;

item, une cotte d’arme de velours viollet frangee d’une frange d’or;

item, deux habitz longs, l’ung de trippe de velours rouge et l’aultre de satin jaulne broché de fil d’or bandé a l’entour de velours uni figuré;

item, deux robbes a femmes, l’une de bourde de soye et l’aultre de taffetas changeant;

item, deux cazaques de velours pour les Deux Sergens, l’une rouge et l’aultre grize;

[2 ro] item, deux manteaulx d’escarlattin rouge bordez de passemant d’argent faulx;

item, deux robbes longues a Medecyns, l’une de satin tannay brun et l’aultre de satin vert;

item, une robbe de drap d’or frizé bandé d’une bande de velours noir rahiee d’or, garnye de six boutons d’or;

item, une robbe de damas noir bandee de velours noir a l’entour;

item, une robbe de satin blanc couverte de fleurs d’or;

item, une cazaque de velours blanc pour le Boullangier;

item, ung cazaquin de velours jaulne pour le Sommellier;

item, ung cazaquin de velours noir dechiqueté pour le Bourreau;

item, une juppe de taffetas rouge pour le Jollyer;

item, cinq robbes de plusieurs couleurs tant damas, velours que taffetas;

item, seize cazaquins de plusieurs couleurs tant velours, satin, damas, taffetas, thoille d’or;

[2 vo] item, deux douzaines de chappeaulx de plusieurs sortes et coulleurs;

item, une douzaine de bonnetz de velours;

item, une douzaine de paires de manches de plusieurs coulleurs;

item, dix paires de guestres de thoille d’argent faulce;

item, cinq devantz de cotte de femme, tant velours, satin de plusieurs coulleurs;

item, deux bonnetz d’escarllate rouge avecque deux chapperons fourrez a Midecyns;

item, trois coyffes d’or;

item, dix mallettes de plusieurs coulleurs;

item, une douzaine et demye de ceintures de plusieurs coulleurs, tant cordons de soie et taffetas;

item, ung voylle de taffetas bleu et une barbutte de linge;

item, une douzaine de barbes;

item, six chevelleures;

item, six haulx de chausse de velours de plusieurs coulleurs;

item, ung guydon et deux enseignes de taffetas;

item, troys vascquynes de thoille.

[3 ro]

[Passage raturé: Tous lesquelz habitz cy dessus declairez ont estez louez a Estienne Cheron, laboureur, Guillaume Noel, laboureur, et a Nicollas Videront, mesnier, tous demourans a Annet sur Marne, pres la ville de Laigny, pour le pris et somme de quarente quatre livres tournois. Sur ce rendu pour les erres la somme de cent solz tournois par les mains de Estienne Charon cy dessus nommé.]

Honnorable homme Claude Gaillard, marchant freppier, bourgeois de Paris, tant en son nom que comme soy faisant et portant foi de honnorable femme Catherine Dupuys, sa mere, veufve de feu Jehan Gaillard, en son vivant aussy marchant freppier, bourgeois de Paris, confesse avoir promis et promect a Estienne Cheron, Nicollas Durand, Guillaume Noel, laboureurs, et Nicollas Wyderon, meusnier, tous demourans a Annet pres la ville de Laigny sur Marne, a ce presens, cedder, bailler et livrer du jour de vendredi prochain jusques au jour de Penthcoste prochain et dudict jour de Penthecoste jusques a deux moys aprés ensuivans, les habillemens, chausses, chappeaux et aultres hardes, lesquels par le menu sont cy dessus speciffiez et declarez, pour servir aux dessusd. a jouer le Mystere de la Vendition de Josept et ce aud. lieu de Annet ainsy qu’ilz ont ensemblement dict, ceste promesse faicte moyennant le pris et somme de quarante quatre livres tournois pour le loyer et occupation desd. habillemens, chausses, chappeaux et hardes pendant led. temps, sur laquelle somme led. Claude Gaillard esd. noms confesse avoir eu et receu desd. Estienne Cheron et consors la somme de cent solz tournois, dont quictance [voir le passage raturé ci-dessus]. Et le reste montans XXXIX livres tournois lesd. Estienne Cheron, Nicollas Durand, Guillaume Noel et Nicollas Wideron et noble homme Nicollas Lecoinctry, [3 vo] tresorier et payeur de la compagnye de Monseigneur le conte d’Haran, demourant a Paris pour ce present, ont promis, seront tenuz, promectent et gaigent l’un pour l’autre et chascun pour le tout sans division, bailler et payer aud. Claude Gaillard esd. noms ou au porteur, sçavoir est quinze livres tournois en leur livrant par led. Gaillard lesd. habillemens, chausses, chappeaux et hardes, et le surplus montant XXIIII livres tournois en la fin desd. deux moys aprés led. jour de Penthecoste prochain, ou sy tost que lesd. Cheron et consortz luy rendront lesd. habillemens et hardes, lesquels habillemens, chausses, chappeaux et hardes iceulx Estienne Cheron, Nicollas Durand, Guillaume Noel, Nicollas Wyderon et led. Lecoinctry ont ausssy promis et promectent, chascun pour le tout sans division ne discution, rendre, bailler et delivrer a icelluy Claude Gaillard esd. noms dedans led. terme selon et ainsy qu’ilz leur auront esté baillez ou hors usure raisonnable. Car ainsy obligeant chascun endroict soy mesmes lesdictz Estienne Cheron et consortz et ledict Lecoinctry chascun pour le tout sans division ne discussion … faict et passé, etc. le samedi XVIIIesme jour de may l’an mil VC LX.

Lesditz Estienne Cheron, Nicollas Durant, Guillaume Noel et Nicollas Wyderon font promesse audict Lecoinctry de l’acquitter … descharger des … indempne par la promesse et obligation par luy le jourd’huy faicte avec eulx [4ro] a … honorable homme Claude Gaillard, marchand freppier demourant a Paris, de la somme de xxxix livres tournois pour le louaige et occupation des habitz delivrez par ledict Gaillard ausdictz Charon et consortz ensemble que icelluy Lecoinctry faisoyt obligation avec eulx a rendre, bailler et delivrer iceulx habillemens et hardes dedans le temps porté par la promesse et obligation de ce faicte, par ce que ledict Lecoinctry l’a faict estre pour leur fere plaisir a ceste cause. Ilz promettent audict Lecoinctry de l’acquitter de ladicte somme de XXXIX livres tournois et de rendre et restituer lesdictz habillemens dedans ledict temps ensemble de tous despens chascun … pour le tout sans dispute ne discussion … faict et passé le samedi XVIIe jour de may mil VC LX.

 

(a) Le Texte de la Vendition de Joseph.

En 1560, date de ce contrat, il existait déjà deux dramatisations imprimées de l’histoire de Joseph. La première faisait partie du célèbre Mistere du Viel Testament. La Vendition de Joseph occupe les vers 15844-21624 (les "chapitres" XXIII-XXVI) du mystère dans l’édition critique du baron Rothschild. Il s’agit d’une mise en scène assez fidèle des chapitres 37-50 de la Genèse. On y voit la jeunesse de Joseph, fils favori de son père Jacob, et la jalousie de ses frères qui, agacés par son interprétation de ses rêves, le vendent à des Ismaélites, lesquels le vendent à son tour à Putiphar, chef des gardes égyptiens au palais de Pharaon. Suivent les épisodes bien connus de la femme de Putiphar, qui tente de séduire Joseph; l’emprisonnement de celui-ci; son interprétation des rêves du bouteiller et du panetier, puis de ceux de Pharaon, ce qui lui permet de prévoir les sept années d’abondance et les sept années de disette; son rôle de gouverneur pendant la famine; son traitement de ses frères qui viennent en Egypte lui demander du blé, sans le reconnaître, et les diverses épreuves que Joseph leur fait subir; sa réunion avec son père et la révélation de son identité; la famine en Egypte; et enfin la mort de Jacob.

Toutefois, il existait aussi un remaniement de cet épisode, publié indépendemment un peu avant 1538 par l’imprimeur-libraire parisien Pierre Sergent. Le titre en constitue un résumé éloquent, du moins de la première moitié:

Moralité de la Vendition de Joseph filz du patriarche Jacob, comment ses freres esmeuz par Envye s’assemblerent pour le faire mourir, mais par le vouloir de Dieu, aprés l’avoir piteusement oultragé, le devalerent en une cisterne, et enfin le vendirent a des marchans gallatides et ysmaelites; lesquelz derechief le vendirent a Putifard en Egypte, ou il fut auprés de Pharaon, roy dudict Egipte. Lequel fut tempté de luxure par plusieurs jours de sa maistresse, a laquelle il laissa son manteau et s’enfouit; dequoy il en fut en prison; mais peu de temps aprés il interpreta les songes de Pharaon. Et a faict si bonne provision en Egipte qu’il a esté dict et appellé le saulveur de tout le pays, comme plus amplement est escript en la Saincte Bible au trenteseptiesme et douze aultres chapitres ensuyvant du livre de Genese. Et est ledict Joseph figure de la vendition de nostre saulveur Jhesucrist.

L’édition publiée par Pierre Sergent consiste en 6914 vers, alors que l’épisode de Joseph dans le Viel Testament n’en compte que 5777. De plus, elle est présentée comme une moralité. C’est probablement cette version du mystère qui fut jouée un peu avant 1538 par la Confrérie Notre-Dame-de-Liesse; l’une des trois gravures sur bois que l’on trouve au dernier feuillet de cette édition est le sceau de la Confrérie. Raymond Lebègue a analysé ainsi le remaniement des Confrères:

Disposant d’un matériel restreint, ils ont remplacé par des chevaux le char de triomphe et les chameaux. Leur réviseur avait un peu le sens de la composition: il a supprimé, au début, la mort d’Isaac et la scène si réaliste des amours de Ruben avec Balla, parce que ces épisodes ne faisaient pas partie du sujet. Pendant 1700 vers Jacob et ses onze fils ne prononçaient pas un mot; aussi leur a-t-il consacré un long interlocutoire au début de la seconde journée. Pour la même raison, il a développé, quelques pages plus loin, celui de Cordelamor. L’original contenait trois intermèdes amusants: le marché, les préparatifs du repas de Pharaon, et la pendaison du panetier raillé par le sergent. Le réviseur n’a ajouté qu’un banquet, avec accompagnement de musique, auquel prennent part les frères de Joseph après lui avoir exprimé leur repentir. Il a emprunté à la moralité non seulement le nom de la pièce, mais encore un personnage abstrait, Envie, qui décrit sa puissance, excite la jalousie des frères de Joseph et leur conseille de le tuer. Le but des Confrères était de montrer la concordance entre la Passion du Christ et les souffrances de Joseph; la fin du titre l’indique et le réviseur a gardé les paroles qu’échangent, à ce sujet, Dieu, Justice et Miséricorde.

Le contrat pour la location des costumes nous permet d’arriver à quelques conclusions concernant le texte joué à Annet.

Parmi les quelque 200 "habillemens" décrits dans la liste, on trouve des costumes explicitement destinés à 33 personnages nommés, dont la plupart ne sont pas difficiles à identifier: les personnages allégoriques de Justice et Miséricorde, quatre "cytoyens" (les quatre Egyptiens?), Esaü (frère de Jacob), le prince (des Ismaélites), "Ismalleyt" (les deux Ismaélites), le père Jacob (père de Joseph), les "douze enffans" (Joseph et ses frères), un "roy" (Cordelamor), Pharaon, les deux sergents, les deux médecins, le "boullangier" (le panetier), le "sommellier" (le bouteiller ou l’échanson), le bourreau (Maudollé) et le "jollyer" (le geôlier). Ces 33 personnages comprennent non seulement tous les rôles principaux, mais aussi plusieurs des rôles mineurs. Il est donc probable que les habitants d’Annet ont monté une version plus ou moins complète de la Vendition.

Il est plus difficile de décider si le texte joué fut celui du Mistere du Viel Testament ou celui de l’édition Sergent. Les différences entre ces deux versions de l’histoire de Joseph sont trop petites pour paraître dans la liste des costumes à louer. Pourtant, à notre sens, l’édition Sergent devait jouir de plusieurs avantages pour les villageois d’Annet. Le Mistere du Viel Testament constituait un gros livre de près de 350 feuillets, sans doute fort coûteux. Des éditions en avaient été publiées à Paris en 1508 (Antoine Vérard), en 1512-1519 (Veuve Trepperel et Jean Janot, en deux volumes) et en 1542 (imprimé par Jean Real pour plusieurs éditeurs différents). Pour ce qui est du texte publié par Pierre Sergent, nous en conservons un seul exemplaire de 80 feuillets, publié probablement entre 1532 et 1538, dont un propriétaire (le premier?) note l’achat le 2 juillet 1538. C’est cette édition qui avait été jouée par la Confrérie parisienne de Notre-Dame-de-Liesse. Elle a ceci de particulier que c’est un in-folio de format agenda, c’est-à-dire long, étroit et à une colonne de texte, soit dans un format que l’on pourrait utiliser facilement lors d’une représentation. On y relève aussi de nombreuses indications scéniques.

Mais on observe que ni l’édition Sergent ni l’histoire de Joseph du Mistere du Viel Testament ne contient le rôle d’Esaü (frère de Jacob), qui figure dans la liste des costumes. L’addition d’Esaü suggère que les habitants d’Annet ont dû remanier un peu le texte de l’édition.

Il est probable que l’auteur du texte original de la Vendition envisageait que son mystère serait divisé en deux journées, dont chacune consisterait en une matinee et une apres-disnee. La fin de la première journée est signalée par la seule occurrence de la didascalie finis; et chaque matinee se termine par une réplique où un personnage fait allusion à un départ et à un repas. Cependant, les deux matinees auraient été nettement plus longues que les deux apres-disnees (2191 et 2530 vers respectivement contre 946 et 1247). Les Confrères de la Passion, lorsqu’ils montaient leurs célèbres spectacles en 1539, 1541 et 1542, jouaient d’habitude les après-midi, entre une heure et cinq heures, ce qui leur donnait le temps de jouer entre 2000 et 2500 vers par séance. On peut donc proposer deux possibilités pour le spectacle organisé à Annet, soit en deux longues journées comme dans de l’édition Sergent, soit en quatre journées plus courtes.

(b) Les costumes et les personnages.

La Vendition, dans la version Sergent, exige 50 rôles parlants. Parmi les costumes mentionnés dans le contrat on relève: 32 "robbes", 3 "habitz", 4 "habillemens", 5 "cazaques", 18 "cazaquins", 1 "cotte", 2 "manteaux", 1 "juppe", 24 "chappeaulx", 14 "bonnetz", 12 "paires de manches", 10 "paires de guestres", 5 "devantz de cottes de femme", 3 "coyffes d’or", 1 "barbutte", 19 "barbes", 18 "ceintures", 6 "haulx de chausses" et 3 "vasquynes". Il s’agit d’une quantité de costumes largement suffisante pour une pièce à 50 personnages. Il est donc légitime de conclure que les organisateurs ont fourni leur costume à tous les acteurs.

La Vendition est un mystère dans lequel le costume n’est pas un facteur purement décoratif; en effet, à plusieurs reprises il joue un rôle crucial dans l’intrigue. Le personnage de Joseph devait disposer d’au moins quatre costumes différents. A fin de la première journée, la dernière réplique prononcée par Joseph est précédée de la didascalie suivante: "La fin du petit Joseph" (v. 18505). Sa première réplique de la seconde journée est précédée de la didascalie: "Joseph le grant commence" (v. 18557). Il est donc presque certain que l’acteur qui joua Joseph pendant la première journée était un enfant ou un adolescent, et qu’il fut remplacé par un adulte pour la seconde journée. Ce changement nécessitait probablement un changement de costume.

Mais, comme on le sait, la légende de Joseph tourne autour des vêtements portés par le héros. Jacob n’hésite pas à avouer qu’il aime mieux Joseph que ses autres fils, ce qui provoque la jalousie des frères de Joseph. Jacob démontre cette préférence en donnant à Joseph la "cotelle polimite", la "tunique ornée".

Jacob

Si vueil qu’ayez une cotelle

Qui vauldra beaucop de chevance.

Pausa. Icy fault la robe polimite.

C’est polimite la semblance

Du drap belle, et, vous le voyez,

Mon amy Joseph, sans doubtance,

Je vueil que vestu en soyez.

La polimite luy est vestue a Joseph.

Joseph

Mon pere, vous me pourvoyez

D’une robe belle et honneste… (vv. 16681-16688)

On relève d’autres allusions explicites dans le dialogue à la "costelle polimite" aux vers 17303-4 et 18105. Ensuite, pour convaincre Jacob que Joseph est mort, ses autres fils lui montrent la robe "polimite" de Joseph tachée de sang:

Ici tuent ung aigneau (MVT chevreau) et taignent la robe polimite.

Levy

Ung cousteau! Tost! Que je despesche

Ce chevreau. Tendés la cotelle

Et respandés le sang sus elle … (vv. 18120-3)

Plus tard, un vêtement différent est un élément clé dans l’épisode célèbre de la femme de Putiphar, lorsqu’elle essaie de séduire Joseph. Joseph la repousse, mais elle saisit son manteau, qu’elle montre par la suite à Putiphar afin de démontrer la véracité de son affirmation que Joseph a tenté de la violer:

La Dame (à Joseph)

Si ne m’eschappera tu mye,

Ou ce manteau demourera… (vv. 18889-90)

La Dame (à Putiphar)

C’est Joseph, ce traitre mastin,

Qui a force m’a voulu prendre …

Ce manteau cy dessus moy

De peur qu’il a eu, a laissé. (vv. 18954-65)

Enfin, lorsque Pharaon confie l’administration de l’Egypte à Joseph, après que celui-ci a prédit les sept annés d’abondance et les sept années de famine, il lui donne un vêtement spécial:

Pharaon

Tiens, vestz ce riche vestement.

Nota que icy fault une robe que Pharaon donne a Joseph (v. 19564)

Ces exemples soulignent l’importance des costumes dans la Vendition de Joseph.

Jusqu’à un certain point, le contrat nous permet de reconstituer les vêtements portés par certains des personnages. Plusieurs des types de vêtements mentionnés ne posent pas de problèmes d’interprétation: bonnets, ceintures, chapeaux, guêtres, manches, voiles. D’autres n’existent plus guère aujourd’hui, mais sont bien connus aux historiens du costume: barbutte de linge; cazaque; cazaquin; cotte; cotte d’armes; coyffes; guydon; haulx de chausses; jupe (= gipe?); vascquynes. Mais certains des termes qui reviennent souvent dans le contrat sont trop vagues pour que nous puissions en avoir une idée précise: robes, habillemens, habit. Par exemple, en quoi consiste exactement une robe, dont on a loué plus de trente? Selon Piponnier, c’est un "vêtement unique qui présente bien des variantes. La robe masculine peut être longue, courte, gaucourte, plate, à mettre sur le harnois et robe de nuit. Parmi les robes féminines, on distingue les robes longues ou courtes, selon qu’elles sont pourvues d’une traîne". Les robes du contrat peuvent être divisées en trois groupes: 9 robes "servans a femmes"; 5 robes "longues" et 18 robes de type non précisé, ce qui pourrait donner à penser que la robe normale était un vêtement masculin court, qui ne descendait qu’aux hanches; mais nous ne croyons pas que cette conclusion soit justifiée.

Plusieurs des vêtements sont destinés à un personnage nommé; il est donc possible de se faire une image non seulement du costume porté par certains des acteurs, mais aussi de sa couleur et de son tissu.

Les deux personnages allégoriques, Justice et Miséricorde, portent respectivement une robe de satin cramoisi rouge, bandée de toile d’or, et une robe de taffetas blanc. Justice est donc en rouge, Miséricorde en blanc, ce qui ne surprend pas. Et, comme on peut s’y attendre, les deux personnages "royaux" sont habillés de vêtements luxueux et dorés. Cordelamor est vêtu d’une robe de drap d’or frisé sur champ noir bandée de passement d’or de Chypre et garnie de son collet, et Pharaon d’une robe longue de drap d’or.

Les autres personnages principaux - Jacob et ses fils, les Ismaélites, les quatre citoyens (les Egyptiens?) et les médecins - portent tous des robes. Jacob a une robe de satin cramoisi rouge; ses fils se partagent douze robes de couleurs et de tissus différents. La robe de velours cramoisi figuré rouge du Prince des Ismaélites le distingue des deux autres Ismaélites, qui sont habillés de robes longues, l’une de damas rouge, l’autre de camelot violet rose. Les quatre citoyens sont vêtus d’habillements de satin de plusieurs couleurs. Les deux médecins portent des bonnets d’écarlate rouge avec des chaperons doublés de fourrure et des robes longues de satin, l’une tannée brun, l’autre verte.

En ce qui concerne les soldats et les domestiques, ils portent surtout des casaques ou des casaquins. La casaque du premier sergent est rouge, celle du second grise. Le sommelier (= le bouteiller) porte un casaquin de velours jaune. Par contre, le boulanger est le seul personnage, à part Miséricorde, à être vêtu de blanc; suivant la tradition, il a une casaque de velours blanc. Maudollé, le bourreau, est vêtu d’un casaquin de velours noir déchiqueté, ce qui convient tout à fait à son rôle.

Le contrat renferme de nombreux vêtements dont la fonction précise n’est pas indiquée. Il est cependant possible d’avancer des hypothèses concernant les personnages auxquels certains de ces costumes sont destinés, d’autant plus que, comme on vient de le voir, la classe sociale des personnages nommés est reflétée dans leur costume. On relève quatre autres costumes luxueux pour des rôles non-spécifiés. La robe de satin cramoisi violet, frangée d’or faux, "servant a femme", est probablement celle de la femme de Putiphar; c’est d’ailleurs le seul rôle féminin significatif. La robe de satin blanc à parements de toile d’or et d’étoupes, garnie de son collet de drap d’or, ressemble aux costumes des personnages royaux déjà décrits; c’est vraisemblablement l’habit de Putiphar. Nous ne pouvons décider à qui attribuer la troisième robe "luxueuse", de velours cramoisi violet bandée d’un petit passement d’argent faux, à moins qu’il ne s’agisse du costume du personnage allégorique Envie. Le dernier costume "luxueux" est une robe de drap d’or frisé, bandée d’une bande de velours noir, rayée d’or, garnie de six boutons d’or. On se demande s’il ne s’agit pas de la "robe polimite", la "tunique ornée" que Jacob présente à Joseph.

Restent dix-sept robes non attribuées, dont sept "servans a femme"; mais, puisqu’il n’y a que deux rôles féminins à part la femme de Putiphar, celles-ci ont dû être employées surtout par des figurants (mais voir ci-dessous). Les autres robes devaient être portées par les Gallatides et par les conseillers royaux comme Decurion, Centurion, les commissaires, le maître d’hôtel, etc. Le héraut devait être vêtu de la cotte d’armes de velours violet frangée d’une frange d’or. Les 18 casaques et casaquins étaient probablement destinés aux autres soldats et écuyers. Enfin, en plus du principal habit porté par chacun des personnages, les organisateurs ont dû louer beaucoup d’autres vêtements moins importants - des accessoires - qui n’ont pas été différenciés dans le contrat: 24 chapeaux, 12 bonnets, 12 paires de manches, 18 ceintures, 6 hauts de chausse et 18 barbes et chevelures.

Nous avons déjà fait allusion à plusieurs des quatorze vêtements qui sont "a usaige de femme" ou "a femme". Il est difficile d’interpréter cette expression. Est-ce qu’elle permet de supposer que tous les autres vêtements sont "a usaige d’homme"? Peut-on conclure que certains des rôles étaient joués par des femmes, ou s’agit-il de costumes de femmes portés par des hommes? Le problème, c’est que, dans la plupart des cas, les personnages à qui les costumes "a femme" sont destinés ne sont pas nommés. La seule exception est l’habit du personnage allégorique de Justice. Est-ce que Justice aurait été jouée par une actrice? Il nous est impossible de répondre à ces questions.

(c) Le contrat.

Le contrat est signé le 18 mai, soit une semaine avant la Pentecôte, célébrée en 1560 le 25 mai. Les costumes doivent être livrés la veille de la Pentecôte et rendus au fripier parisien deux mois plus tard, le 25 juillet. Il est probable que ces deux mois couvrent la dernière étape des répétitions, ainsi que la représentation proprement dite.

Il existe de nombreux contrats portant sur l’achat des "feintes" et des décors nécessaires pour la mise en scène des mystères. Mais, à notre connaissance, ce contrat passé pour les costumes est unique. Les "habillemens" d’un mystère sont manifestement différents des "feintes"; ils représentent une dépense supplémentaire. Les habitants d’Annet devaient payer 44 livres tournois afin de se procurer les costumes nécessaires pour leur spectacle; sans doute devaient-ils également payer un peintre pour la confection des "feintes" et des décors. En outre, ils devaient couvrir les dépenses de la construction de leur théâtre. Comme on le sait, monter un grand mystère coûtait cher.

Cependant, ce contrat semble aller à l’encontre de l’opinion générale concernant les costumes dans les mystères. Charles Mazouer ne fait que répéter ce que tous les critiques ont accepté comme la norme au moyen âge, lorsqu’il écrit: "Les costumes … étaient à la charge des acteurs". Les seules exceptions que l’on envisage sont les costumes qui étaient particulièrement coûteux ou significatifs: Dieu, les anges, Lucifer, les diables, etc. Il ne fait aucun doute que ces critiques ont raison, ce qui souligne l’originalité de ce contrat. Car il est évident que les organisateurs de la Vendition de Joseph fournissent non seulement les costumes de Dieu et de Lucifer (en fait, il n’est pas question de diables dans ce mystère), mais aussi les costumes de tous les acteurs. Peut-être que l’explication se trouve dans le fait que celle-ci est l’une des dernières représentations de mystère connues dans la région parisienne; le contrat refléterait donc un changement majeur dans la pratique théâtrale de l’époque.

Qui plus est, ces costumes ne sont pas achetés. La somme de 44 livres ne suffit que pour les louer pendant deux mois. Les entrepreneurs doivent les rendre au fripier après le spectacle "dedans led. terme selon et ainsy qu’ils leur auront esté baillez ou hors usure raisonnable". Ces derniers mots suggèrent aussi que, si les costumes sont rendus en mauvais état, les villageois d’Annet auront davantage à payer. Sans doute, les 200 "habillemens" du contrat furent sélectionnés par les organisateurs en vue des personnages jouant un rôle dans leur mystère. Claude Gaillard, "marchand freppier demourant en la frepperie a l’enseigne Saincte Katherine", devait donc posséder beaucoup plus de costumes que ceux loués pour la Vendition de Joseph. Il aurait donc été moins un simple fripier qu’un costumier théâtral. Si c’est le cas, il est le premier costumier français connu. Le contrat nous apprend, cependant, que son feu père, Jean Gaillard, avait également été "maistre freppier".

Le seul autre exemple d’un costumier théâtral que nous connaissions date de vingt ans plus tard. C’est en 1581 qu’on dressa l’inventaire après décès de Pierre Folleville, "marchant et maistre fripier, bourgeois de Paris". Folleville habitait rue des Mathurins (actuellement rue du Sommerard, à côté du Musée de Cluny), à l’enseigne de la "Caige d’Or". Sa spécialité était les "habitz et accoustremens servans a jouer jeux, comedies et mascarades". Il était au centre d’un commerce prospère; son fils Philippe était fripier comme lui, ainsi que ses gendres Nicollas Guillemot et Fremy Villain. Il occupait deux maisons, dont l’une servait à l’exposition et à la vente des costumes. Les costumes qui figurent dans cet inventaire reflètent pour la plupart un type de spectacle fort différent de celui des mystères: mascarades, bergeries, masques de Carnaval. Ces divertissements sont ceux d’une époque où les mystères n’étaient plus à la mode. Pourtant, un petit nombre des costumes de Folleville sont plus caractéristiques du théâtre religieux médiéval: des habillements de diables, des ailes en plumes blanches (sans doute pour des anges), deux "braies de Judas de trippe de velours rouge" et au moins douze robes "façon d’apostre".

Le contrat pour les costumes de la Vendition de Joseph contient un détail fort curieux. Les quatre habitants d’Annet versent tout de suite au marchand fripier un acompte de 5 livres sur la somme totale de 44 livres. Le "surplus" de 39 livres doit être payé en deux parties: 15 livres lorsque les costumes seront livrés la veille de la Pentecôte, et 24 livres deux mois plus tard, après la représentation. Mais lorsqu’il est question des modalités du paiement différé de ces 39 livres, le nom d’un cinquième homme est ajouté aux quatre autres, "noble homme Nicollas Lecoinctry, tresorier et payeur de la compagnye de Monseigneur le conte d’Haran, demourant a Paris pour ce present". Pourquoi le nom de cette personne figure-t-il dans ce contrat? Qui est le comte d’Haran et quelle est sa compagnie?

L’explication de la présence de ce nom est fournie par un autre acte qui fut signé le même jour, devant le même notaire parisien et par les mêmes habitants d’Annet, et où ils promettent d’acquitter Nicollas Lecoinctry de l’engagement qu’il a pris de les cautionner, "par ce que ledict Lecoinctry l’a faict estre pour leur fere plaisir a ceste cause". La signature de Nicollas Lecoinctry a donc servi à rassurer le fripier parisien, qui doutait peut-être de la capacité des villageois d’Annet de trouver les 39 livres nécessaires.

Les archives parisiennes contemporaines révèlent que Nicollas Lecoin(c)try était membre d’une riche famille d’orfèvres, qui possédait des demeures et des terres à la fois à Paris et à Annet-sur-Marne. Nicollas est qualifé d’ "orfevre, bourgeois de Paris, demourant a Sainct-Marcel, sur le Pont aux Tripes" dans un acte notarié daté de 1542. On relève également des allusions à son frère Jean, qui mourut en décembre1554, à son père Thibault, mort entre 1554 et 1560, et à sa mère Marie Guellier, décédée le 27 avril 1560.

Selon le contrat, Nicollas Lecointry était "tresorier et payeur de la compagnye de Monseigneur le conte d’Haran, demourant a Paris pour ce present". Pour un Ecossais, il n’est pas difficile d’identifier l’employeur de Nicollas. Il doit s’agir de James Hamilton, troisième comte d’Arran ("the third Earl of Arran"), l’un des capitaines des Gardes Ecossais en France entre 1554 et 1558. L’identité du comte et de son trésorier est confirmée par trois quittances publiées dans un recueil de documents français relatifs à l’Ecosse pendant le règne de Henri II (1547-1559), dont voici celle datée du 12 novembre, 1557:

Hault et puissant seigneur messire James de Hameleton, chevalier, conte d’Aran, cappitaine de cent hommes d’armes des ordonnances du roy, confesse avoir eu et receu de Nicollas Lecointry, tresorier et payeur de la compaignie dudict seigneur conte, a ce present, la somme de cinq cens livres tournois.

Ainsi, la compagnie en question est celle des Gardes Ecossais. Nicollas Lecointry était donc un choix idéal pour être le garant de ce contrat. Les organisateurs de la représentation étaient tous des habitants du village d’Annet-sur-Marne, où sa famille possédait des terres et une maison. En tant qu’orfèvre parisien et trésorier des Gardes, c’était quelqu’un dont la parole suffisait à convaincre le fripier que la location des costumes serait payée en temps voulu. Enfin, se trouvant alors dans la capitale ("demourant a Paris pour ce present"), il pouvait facilement assister à la signature de l’acte. Il est tout à fait probable que la raison pour laquelle Nicollas se trouvait à Paris alors (le 18 mai 1560), c’est que sa mère venait de mourir et qu’il était à Paris pour s’occuper de l’inventaire après décès, qui avait été dressé à sa requête.

(d) La représentation

De toute évidence, l’édit du Parlement de Paris de 1548 interdisant les représentations de mystères n’empêcha pas les villageois d’Annet de monter leur Vendition de Joseph. Rappelons l’essentiel de l’édit. Le Parlement de Paris:

defend ausd. supplians [les Confrères de la Passion] de jouer le mistere de la Passion Nostre Saulveur ne autres misteres sacrez sur peine d’amende arbitraire, leur permectant neantmoins de pouvoir jouer aultres misteres prophanes, honestes et licites, sans offenser ne injurier aulcune personne; et defend lad. court a tous aultres de jouer ou representer doresnavant aulcuns jeux ou misteres, tant en la ville, faulxbourgs que banlieue de Paris, sinon que soubz le nom de ladicte Confrairie et au proufict d’icelle.

Cependant, nous savons que plusieurs représentations de mystères eurent lieu à Paris et dans les environs au cours des années suivant l’édit; les mystères de Jean Louvet en constituent un exemple frappant. Pour notre part, nous avons toujours cru que le but de l’édit était tout simplement d’interdire les vastes spectacles montés par la Confrérie de la Passion, spectacles qui s’étendaient sur plusieurs mois durant l’été et bouleversaient bien des aspects de la vie urbaine.

La Vendition était sans aucun doute un mistere sacré. Même si l’édition de Pierre Sergent lui donne le titre de moralité, dans le contrat de 1560 la Vendition est qualifiée de mistere. Donc, de deux choses l’une: ou bien, douze ans plus tard, on ignorait impunément l’édit, ou bien l’édit ne s’appliquait pas à cette représentation. Peut-être faut-il retenir cette deuxième explication, ou bien parce que ce spectacle ne posait pas les mêmes problèmes que les représentations organisées par la Confrérie de la Passion, ou peut-être parce qu’Annet, à 25 kilomètres à l’est de Paris, se trouvait en dehors de la juridiction du Parlement de Paris. Mais il est significatif que le fripier qui fournit les costumes est parisien et que c’est devant un notaire parisien que l’acte fut signé.

Quoi qu’il en soit, à notre connaissance, la Vendition de Joseph, montée par le village d’Annet-sur-Marne en 1560, fut la toute dernière représentation d’un mystère dans la région parisienne.

Back